Mon cher Florent

Toi qui as failli embrasser la carrière musicale (et qui l'embrassera peut-être un jour, qui sait...), tu incarnes certainement de façon la plus représentative cet adage qui dit : 'la musique adoucit les moeurs'. Ben oui, car même si tu es fan de gros rock, on remarque, au travers de ton regard bienveillant, de ta démarche chaloupée et de ta sensibilité manuelle comme émotionnelle une douceur dont seuls les musiciens font preuve.

Alors ne te méprends pas Florent : je ne veux surtout pas te mettre mal à l'aise quand je te parle de ta sensibilité manuelle et émotionnelle, c'est simplement que j'ai eu l'occasion de la tester dans un cadre purement professionnel et que j'ai été impressionnée par cette part dite féminine.

Inspirée par tout ça, j'ai d'ailleurs suggéré à Nico de se mettre à la guitare, et je peux te dire que le fait qu'il se mette à jouer du Kurt Cobain quand je lui dis quelque chose qui l'ennuie (voire l'emm...) m'est beaucoup moins pénible que d'entendre un 'Tu me gonfles Fleur'.

Quelques notes musicales (à condition qu'elles soient bien jouées) apaisent les esprits comme les tensions... et nous voilà repartis comme en 40!

Pour ma part, je n'ai malheureusement pas été dotée à la naissance d'un talent un tant soit peu rtemarquable pour l'art, qu'il s'agisse de peindre, de dessiner, de chanter (je ne me souviens pas d'un seul karakoé où je n'ai pas été sifflé).... ou de jouer d'un instrument. A part la flûte à bec que j'ai exercé pendant 8 ans, ma pratique musicale est nulle. Et pourtant, de plus en plus, j'utilise la musique pour exprimer cette part de moi qui reste enfouie, faute de mots ou de gestes adéquats pour l'exprimer.

Bon, j'arrête mon blabla 5 mn. Tout ce que je veux te dire; mon cher Florent, c'est que la musique joue également une part importante dans ma vie. Et que celui qui doit m'annoncer un truc pas sympa (du genre : j'ai cassé ton ordinateur, j'ai mangé la dernière part de tarte, ou je veux pas faire ce que tu veux) a plutôt intérêt à se renseigner sur mon humeur musicale. Très bon indicateur de mon humeur en général.

Par exemple : en ce moment, quand je pars au travail le lundi matin, les yeux embués, la tête dans les nuages, et que j'ai l'occasion d'admirer les reflets du soleil dans le lagon de la Baie Ci appelée Grand Baie, je suis plutôt ambiance Katie Melua ou Ayo.

Quand je rentre le soir après une journée de mails, d'ordinateur et de cutter (je fais beaucoup de collages et de découpage dans mon nouveau métier... en faisant bien entendu très attention au moment des manipulations de cutter et autres ciseaux parce qu'ils ne sont pas très bon dans le raccomodage de doigt à Maurice), je suis plutôt ambiance Déportivo (particulièrement la chanson intitulée Parmi eux) ou Ginzhu.

Après les 3 longues journées de labeur dans le magasin de déco, j'enchaîne ma 2e semaine (qui commence le jeudi) chez les développeurs... et là, oh mon dieu quelle frustration! Il n'y a pas de place pour mon humeur musicale... car je dois subir les humeurs musicales de mes collègues (et néanmoins amis), qui en plus, utilisent mon ordinateur pour émettre des sons à peine audibles qui me prennent la tête au bout de 4min et 26 secondes. Il s'agit en fait d'un enchaînement de genres musicaux variés, avec systématiquement en début de journée : Techno Belge, puis NRJ en boucle (la fois dernière, on a écouté 4 fois d'affilée la même émission... donc les mêmes chansons pourries de chanteurs dont je ne connais pas le nom). Puis petit break avec RFM (je n'ai jamais autant apprécié Céline Dion). Pour redémarrer l'après-midi en techno... voire un peu de dance pour mon voisin d'en face Fabrice. Donc là, tu auras bien compris : la musique adurcit profondément mes moeurs. J'essaie de passer outre en chaussant mes boules quiès (ça se dit ça 'chausser des boules quiès); mais je devine quand même le style musical car la baffle, située sous mes pieds, émet des vibrations incessantes qui me rappellent la rythmique de Shake that Ass et semblent être très coordonnées avec le mouvement des cheveu gominés de mon voisin d'en face, Fabrice, 22 ans, fan de DJ Assad et blousons en cuir cintrés, de gomina et de potins en tout genre.

A noter tout de même : le blouson en cuir n'est pas anodin. A Maurice où il fait à peu près 30° toute l'année, porter une veste en cuir, c'est comme être tatoué dans le cou en France. C'est mortel rebelle! Ne souhaitant pas affronter un rebelle de Pereybère, je subis donc toute la compil DJ Assad, non sans une pensée émue pour les discothèques belges où je passasse quelques unes de mes soirées à l'époque adolescente.

Mais en fait, je me suis rendue compte que la techno et la dance à 8h du mat n'était vraiment pas ce qu'il y avait de pire.

Je t'explique : moi, ce que je n'aime pas, c'est qu'on me réveille le matin. Qui plus est quand c'est le WE. Alors quand c'est la grasse matinée que tu attendais depuis 3 semaines, et que tu es réveillée le dimanche matin, 7h55, au doux son du marteau piqueur, autant te dire que là, même un petit air de guitare ne pourra rien.

Je ne suis que furie : d'un bon d'un seul je me lève du lit, je regarde Nico et lui dis 'Putain je vais les défoncer' (je sais qu'on ne pense pas qu'une sainte nitouche comme moi puisse être si vulgaire... et pourtant...). J'enfile un T-Shirt, un short, mes tongs. Et là, j'ai la chanson 1 de Pulp Fiction dans les oreilles... Je vais faire un casse sur le chantier. J'avance d'un pas décidé, les quelques mecs qui ont commencé à travailler s'éloignent pour rejoindre leuurs collègues un peu plus loin.

Il ne reste plus que lui, le chef de chantier, et moi.

L'affrontement final. Je vais le défoncer.

Là, la musique s'arrête (enfin ma musique intérieure, tu auras compris). Et on n'entend plus que moi, Fleur, gueuler comme un putois, m'indignant contre ces putains de travaux qui m'empêchent de dormir tous les jours et tous les WE depuis Août.

'Et je n'en peux plus Missié. Vous avez encore réveillé mon mari et mes zenfants (là j'ai un peu menti mais c'est pour avoir plus d'impact).'

Et l'autre, en face, il me regarde avec ses yeux de merlan frit. Il n'a pas l'air de comprendre. Mais en fait si, il a compris: 'je vous ai réveillé Madame'. Alors moi, là j'explose : 'ta musique de marteau piqueur, tu peux te la remballer parce que t'es même pas doué. Ton concert, va le donner chez toi.'

Et là, je n'y croyais pas : il a appelé son groupe, a remballé ses instruments, et s'est barré.

Silence radio. Enfin la musique que j'aime le dimanche matin. La seule et unique musique acceptable. Le silence.

Le plus drôle, c'est quand lundi matin, je suis partie travailler : tandis que je fais ma manoeuvre pour sortir mon véhicule de l'allée du jardin, je vois, au loin, un attroupement d'ouvriers. Le leader (mon ennemi) se cache derrière sa voiture jaune. Aucun n'ose aller sur le chantier : ils attendent de voir ma petite voiture grise s'éloigner pour redémarrer le tapage.

Presque sans l'avoir prémédité, je m'arrête à quelques mètres d'eux; mes fenêtres sont ouvertes, j'écoute Muse, Darkshines. Je tourne la tête vers les 25 mecs en train de m'observer, leur jette un regard revolver (pas celui de Marc Lavoine, non, des vrais yeux revolver), et je fais un dérapage avec ma Honda Fizz (surtout parce que c'est un peu un démarrage en côte et que j'ai jamais été très forte, surtout qu'avec la voiture automatique, je suis obligée de le faire au frein à main). Enfin quoiqu'il en soit, ça fait son effet : ce sont maintenant 25 paires d'yeux de merlan frit qui me regardent tandis que je m'éloigne aux sons de ma musique de cowboy.

Alors si la musique n'adoucit pas les moeurs, elle construit les mythes.

Maintenant, dans le quartier, on me surnomme Bonnie Parker!

Je t'embrasse mon petit Florent!

Fleur